Dans un entretien exclusif accordé à notre rédaction, jeudi 29 août dernier, à son siège social de derrière station de l’Université Omar Bongo de Libreville, le Président du parti du Peuple Gabonais ( PPG), Jean Romain Fanguinoveny, dresse le bilan d’étape du Comité de Transition pour la Restauration des Institutions. Un bilan annuel jugé mi-figue-mi raisin par l’ancien candidat à la présidentielle du 26 Août 2023 au Gabon.
Monsieur le Président, quel bilan faites-vous du Comité de Transition pour la Restauration des Institutions ( CTRI) un an après sa prise de pouvoir le 30 Août 2023?
Jean Romain Fanguinoveny, ancien candidat à l’élection présidentielle 2023:
A l’entame de mon propos, je voudrais, comme le veut les bons usages, me présenter avant de faire le bilan lapidaire des actes du CTRI, un an après sa prise de pouvoir.
Effectivement, je suis Monsieur Jean Romain Fanguinoveny, Président du Parti du Peuple Gabonais (PPG), et Ancien candidat à l’élection présidentielle du 26 août 2023.
S’agissant de votre question, je crois être dans la bonne posture pour apporter un avis nuancé sur le bilan du CTRI, un an après son push. Et ce d’autant plus que, n’étant pas associé aux différents organes de la transition en cours, comme certains autres anciens candidats de la dernière élection présidentielle, mon point de vue ne peut souffrir du moindre embarras, et encore moins d’un quelconque devoir de réserve.
En effet, il est de tradition en politique qu’un an après, un bilan d’étape soit fait par la classe politique pour mesurer le chemin parcouru et les actions politiques posées par les nouveaux dirigeants, en faveur de la bonne marche du pays.
A titre de rappel, voilà quasiment un an que le CTRI est au pouvoir dans notre pays, à la suite du coup d’état militaire, rebaptisé sympathiquement « coup de libération », et opéré à l’aube du 30 août 2023, à la suite de l’annonce des résultats tronqués de l’élection présidentielle du 26 août 2023.
Lors de cette matinée fatidique pour le pouvoir déchu, mon parti le PPG et moi-même, en tant qu’ancien candidat à cette élection présidentielle, avions salué avec enthousiaste ce «coup de libération du pays» des fourches caudines des Bongo et du PDG, au pouvoir sans partage et sans interruption depuis 56 ans.
Au lendemain de cette prise de pouvoir, invité aux rencontres citoyennes de la classe politique avec le Président de la Transition au palais présidentiel, j’avais aussi accepté le principe de participer à la mise œuvre des réformes des institutions dans le cadre du Dialogue national inclusif à venir, afin de contribuer aussi à la réussite de cette transition politique menée par les militaires du CTRI, et saluée par de nombreux compatriotes.
Cette volonté d’accompagner le CTRI a été maintes fois réaffirmée au Président du CTRI. Notamment, lors des différentes rencontres qui s’en sont suivies avec la Presse, mais surtout avec les anciens candidats de l’élection présidentielle au palais rénovation.
Je me souviens qu’au cours de cette rencontre avec tous les anciens candidats, et dans le souci d’encourager le bon lancement de la transition en cours, j’avais personnellement remis au Président de la transition, mon projet de société. Parce que, j’estimais qu’il était bon, bien agencé et bien évalué et cadencé sur un quinquennat. Et qu’à ce titre, il pouvait aussi humblement aider l’inspiration présidentielle, dans ce contexte exceptionnel de la Transition.
Tout ce rappel, c’est pour confirmer que personnellement, comme de nombreux compatriotes, je croyais aux bonnes intentions du CTRI et à la sincérité de la Transition.
Je dois avouer que j’étais s convaincu que le CTRI pouvait réellement faire bouger positivement les lignes, non seulement celles de la restauration des institutions, mais aussi et surtout celles de la restauration de la bonne gouvernance du pays, vu les attentes pressantes du peuple.
Un an après, malgré les ratés notés et les retards à l’allumage, je persiste à croire que le CTRI, sous la houlette de Président, a encore toutes les cartes dans ses mains pour relever les défis qui se dressent sur son chemin et réussir là où le pouvoir déchu a échoué.
Diriger un pays en crise depuis tant d’années et très endetté comme le Gabon, malgré ses immenses potentialités, et le remettre sur les rails en un an de transition, n’est pas une mince affaire.
Devant l’ampleur de la tâche et les multiples écueils, il convient alors, raison bien gardée, d’accorder de l’indulgence aux autorités de la Transition.
Personnellement, malgré les couacs enregistrés, je ne peux que saluer, dans ce laps de temps, les avancées significatives observées dans plusieurs domaines de la gouvernance du pays, depuis la prise de pouvoir du Président Brice Clotaire OLIGUI NGEMA.
Le climat délétère qui prévalait entre gouvernants et gouvernés sous Ali Bongo s’est-il dissipé avec le CTRI?
–Effectivement, C’est l’occasion pour moi de féliciter le CTRI pour le climat de paix et de concorde qui règne dans le pays depuis le renversement du pouvoir des Bongo. Certainement, comme moi, de nombreux compatriotes ont également remarqué, qu’il y a comme un air fraicheur et de sérénité qui plane sur l’ensemble du pays depuis le fameux « coup de libération » du CTRI.
La tension ambiante, palpable et persistante de l’ère Ali Bongo et sa clique, semble s’être dissipée. Et en tant qu’ancien candidat à cette élection présidentielle tronquée du 26 août 2023, et acteur politique de premier plan durant cette période tendue, je peux aisément aujourd’hui mesurer la détente retrouvée, malgré le couvre-feu, douze mois après.
Monsieur le Président, à côté de ce tableau reluisant brossé ci-dessus, il existe certainement des zones d’ombres qui risquent d’entraver le bon essor vers la félicité, tant clamé par le CTRI, les quelles selon vous?
-A côté de ce tableau reluisant, brossé ci-dessus, force est de constater que certaines décisions, loin d’être inclusives, comme l’ensemble des Gabonais aurait pu le souhaiter, persistent et confirment le retour de l’arbitraire et des pratiques de manipulations politiques visant à atteindre d’autres desseins inavoués.
Ainsi donc, si la résurgence de certains travers de l’ancien système n’est pas gommée à temps, le risque d’entraver le bon essor vers la félicité, tant clamé par le CTRI, est grand.
Plus encore, à l’analyse, la manière de faire des militaires au pouvoir, dans certains domaines, suscite chaque jour un peu plus d’étonnement, de l’impatience et même de l’agacement quant à ce qui concerne certaines décisions prises et leurs conséquences fâcheuses à venir.
Dans ce registre, on peut citer :
- La stigmatisation d’une partie de la population gabonaise, avec la suspension des droits des « mauvais citoyens » et l’introduction et l’utilisation excessive de la notion nouvelle et malveillante de « gabonais de souche » beaucoup plus restrictive en lieu et place de gabonais d’origine ;
- L’organisation et la confiscation des libertés et expressions politiques, avec la suspension ou restriction de certains partis politiques, et partant du pluralisme au Gabon sans distinction ni justification légale.
- L‘OPA des anciens cadres du PDG dans tous les organes de la Transition. Ainsi que leur reconversion en force tant au Cabinet présidentiel, au Parlement, au Gouvernement, dans les Collectivités locales et dans la haute administration publique et parapublique ;
- Les nominations des mêmes personnalités issues des mêmes familles qui ont régné sous l’ère des Bongo père et fils ;
- La marginalisation persistante de certaines familles des postes clés de la République, malgré leurs profils, et cela depuis quasiment 40 ans (comme c’est le cas des Fanguinoveny, depuis l’assassinat politique de Pierre Fanguinoveny, en 1978, en France);
- Certaines recommandations fâcheuses issues du Dialogue national inclusif, qui s’est tenu du 2 au 30 avril dernier à Angondjé ;
- Certaines dispositions du nouveau Code électoral conférant l’organisation exclusive des élections au Ministère de l’Intérieur;
- Le cafouillage ambiant sur la campagne prématurée sur le « oui » ou le « non » au Référendum, alors même que la nouvelle Constitution n’est pas encore rendue publique.
- Le non-respect de la parole donnée, tant lors des échanges avec les anciens candidats à l’élection présidentielle du 26 août 2023, que lors de la cérémonie de prestation de serment du Président de la Transition, le 4 septembre 2023.
-A vous entendre parler Monsieur le Président du PPG, voulez-vous dire aux Gabonais, que le Président de la transition Brice Clotaire Oligui Nguema, voudrait se succéder à lui-même au terme du processus de transition, en conférant l’organisation exclusive des élections au Ministère de l’Intérieur « inféodé » au CTRI ?
Pourtant, il n’échappe à personne que le Président de la Transition le Général Oligui Nguema compte être candidat à la prochaine élection présidentielle d’août 2025. Ce qui apparait d’ailleurs légitime pour le commun des gabonais au regard de la Charte de la Transition. Surtout que dans leur majorité, ils lui sont très reconnaissants pour le « Coup de Liberté » réalisé de mains de maître et sans effusion de sang. A ce titre, le Général Oligui Nguema bénéficie aujourd’hui d’un capital sympathie considérable.
Il n’avait nul besoin de tous ces micmacs pour se faire élire haut la main Président de la République, à l’issue de la Transition. Pour éviter que ce capital de popularité engrangée auprès des populations ne s’érode davantage au fil du temps, il serait impératif qu’il redresse le cap afin d’amorcer un retour apaisé du Gabon à l’ordre constitutionnel favorable à la démocratie, la paix, les investissements et à l’emploi.
Devant tout ce capharnaüm d’intrigues volontairement entretenu par certains nostalgiques de l’ordre ancien pour satisfaire leurs desseins inavoués, il serait logique que le Président de la Transition procède à des réajustements, un an après, afin d’éviter d’entacher ses ambitions, si ambitions il y a, à l’issue de la transition en cours.
Il lui appartient donc, tel un missile d’interception, de pousser à l’avant, tout en corrigeant constamment à droite et à gauche pour espérer atteindre sa cible, c’est-à-dire son but.
-Et si le président de la Transition ne change pas de paradigme, redoutez-vous le pire dans le pays ? c’est à dire que l’on en vienne encore, avant ou après la présidentielle prévue en Août 2025 conformément à la charte de la transition, à des tensions politiques ou encore à des crises post-électorales aux conséquences incalculables.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est à craindre, si des corrections brutales ne sont pas apportées à temps dans le processus de transition actuelle, que l’on en vienne encore, avant ou après la présidentielle prévue en août 2025, à des tensions politiques ou encore à des crises postélectorales.
Puis, de nouveau, à des dialogues ou concertations politiques pour ramener la sérénité dans le pays après les violences politiques prévisibles, que la tendance actuelle à reproduire précocement le modèle d’erreurs du pouvoir déchu, ne manquerait à générer.
-Avez-vous une dernière préoccupation?
Pour conclure mon propos, après cette période de mise en train, ponctuée par la célébration fastueuse de son premier anniversaire, s’il fallait en définitive donner une note à la transition actuelle, la note de 5/10, mention passable, serait la mieux indiquée. Au Président de la Transition et au CTRI à faire mieux!
Entretien exclusif réalisé par Rufin Martial Oke Nze