Monsieur Yves Picard est Directeur de l’AFD à Libreville depuis juillet 2013. Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et agent AFD depuis 1978, il a connu plusieurs affectations au siège et en Afrique, en agence et en assistance technique. Il est l’invité de la Rédaction de Coopération Internationale Journal pour évoquer le financement du développement au Gabon.
Monsieur Picard Bonjour, quelles sont vos relations avec le gouvernement dans la mise en oeuvre des projets de développement ?
Yves Picard : L’Agence française de Développement (AFD) travaille avec les Etats, mais aussi les acteurs économiques du secteur privé, entreprises et banques. De manière prioritaire, ce sont les Etats qui sont les premiers concernés en matière de développement : l’Etat est emprunteur et porteur de projet en même temps. Au Gabon, les projets de développement sont planifiés en cohérence avec le PSGE et le SDNI. L’AFD ne crée pas les projets elle-même, mais répond à des besoins exprimés par les Etats.
Vous avez signé avec le Gabon deux importantes conventions en matière de santé et d’éducation dont le montant s’élève à 133 Milliards de FCA. Pourquoi avoir fait de ces deux secteurs une priorité ?
YP : Ces deux conventions ont connu des genèses différentes. Dans le secteur de la santé, il existait un premier projet, à savoir le Projet d’Appui au Programme National de Développement Sanitaire (PNDS), achevé en 2014. C’était la première opération importante menée par l’AFD dans le secteur de la santé. Ayant mobilisé 7 milliards de FCFA, ce projet a permis la mise en oeuvre du PNDS, avec notamment les plans régionaux de développement sanitaire, la formation du personnel et la réhabilitation de sept maternités. Ce projet a permis à l’AFD une première prise de contact avec le ministère gabonais de la santé. Ayant été jugé globalement réussi, nous avons décidé de prolonger le partenariat avec le ministère de la santé, ce qui se traduit aujourd’hui par une convention santé d’un montant de 33 milliards de FCFA. Elle porte sur la réhabilitation et l’équipement de 27 centres de santé dans quatre provinces de l’intérieur du Gabon, avec des actions de renforcement de capacité et de formation du personnel médical. Le bassin de population bénéficiaire est évalué à 551.000 personnes.
Et au niveau du secteur de l’éducation nationale ?
YP : Pour ce qui est du projet éducation, ses contours se sont dessinés au fur et à mesure des échanges avec le ministère concerné, sur plusieurs mois. Il procède de missions préparatoires aux termes desquelles les compétences sectorielles entre bailleurs ont été délimitées, l’AFD se concentrant plutôt sur l’éducation de base. Cette seconde convention, d’un montant de 101 milliards FCFA, finance le Projet d’Investissements dans le Secteur Éducatif (PISE) qui vise à construire et équiper 9 collèges et 8 écoles primaires à Libreville et Port-Gentil, soit environ 500 classes supplémentaires. La population concernée représente 25.000 élèves. Pour l’AFD c’est un projet ambitieux qui est de très loin notre plus gros investissement dans le secteur de l’éducation, et ce quel que soit le pays dans le monde. Nous essayons d’avoir un impact fort dans le secteur de l’éducation, afin de pallier certains retards en matière d’infrastructures.
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Education : L’ambitieux défi de l’AFD http://gabonreview.com/blog/education-lambitieux-defi-de-lafd/
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En termes de bilan, quel a été votre apport dans la mise en oeuvre du PSGE ?
YP : L’AFD est particulièrement engagée dans les questions de financement
des infrastructures. Le Gabon a connu ces quinze dernières années des développements importants, sans que les infrastructures aient pu suivre au même rythme. C’est vrai dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de l’assainissement où la demande est sans cesse croissante. Aussi, notre action vise à soutenir un développement intégré qui comprend l’aménagement de la ville au Gabon, les infrastructures urbaines, y compris les services sociaux.
S’agissant des appels d’offres lancés et les études financées par l’AFD pour l’aménagement des bassins versants de Libreville, qu’est-ce qui, selon vous, fait que jusqu’à ce jour certains chantiers ne sont pas visibles ?
YP : Les travaux sur les trois premiers bassins versants sont achevés depuis plusieurs années. Le projet de Gué- Gué vient d’entrer en phase de démarrage avec la sélection du consultant pour les études et le contrôle des travaux, mais les travaux eux-mêmes ne démarreront naturellement que plus tard, après lancement des appels d’offres.
Qu’en est-il des routes?
YP : Sur les routes interurbaines, nous avons achevé le financement du tronçon Ndjolé –Médoumane qui est un gros chantier soutenu par l’AFD (81 milliards de FCFA en trois financements). En matière de transports, nous travaillons actuellement sur le Transgabonais. En matière d’urbanisme, nous n’avons pas eu l’occasion de travailler sur les schémas de transport
urbain, mais par contre sur le schéma directeur d’assainissement de la capitale. Par ailleurs, nous avons mis l’accent sur l’assainissement des eaux pluviales, qui est un enjeu majeur, compte tenu de la topographie de Libreville qui se prête à de fortes inondations. Cela fait maintenant une dizaine d’années que nous travaillons sur l’assainissement des eaux pluviales dans la capitale. Un premier projet, nommé Assainissement
Prioritaire de Libreville (APRIL), a permis de traiter les trois bassins
versants de Batavéa, Sainte-Anne et Sainte-Marie, et la zone industrielle
d’Oloumi. Nous démarrons maintenant le projet du bassin versant de Gué Gué. Sur Port-Gentil, il y a un projet en cours portant sur la réhabilitation du réseau de canaux de drainage des eaux pluviales et le recyclage des eaux usées dont le montant s’élève à plus de 36 milliards de francs.
Le niveau de dette intérieure peut avoir un impact sur certaines entreprises gabonaises, sans que la presse ne s’en fasse suffisamment état. Etes-vous consultés par le gouvernement dans sa recherche d’ « argent frais » ?
YP : Nous n’avons pas eu de discussions avec le gouvernement sur la question des aides budgétaires ; c’est en général davantage du ressort des partenaires multilatéraux ou du FMI.
Quel type d’appui les PME et PMI gabonaises peuvent attendre de l’AFD ?
YP : Les projets que nous finançons favorisent les activités et les emplois locaux. Par exemple, le projet de la santé qui a été parachevé a été largement réalisé par les entreprises gabonaises. Les projets qui démarrent connaitront la même logique. L’idée est d’utiliser les compétences que l’on
trouve localement, sans avoir besoin d’aller les chercher ailleurs.
L’autre type d’appui que l’on apporte concerne le soutien aux PME/PMI locales, pour qu’elles obtiennent des crédits bancaires afin de financer leurs investissements. Ce soutien se matérialise par un produit nommé ARIZ, qui
permet d’apporter une garantie aux banques. En effet, le problème de ces entreprises est souvent l’absence des garanties suffisantes qu’elles peuvent apporter pour répondre aux exigences des établissements bancaires : ARIZ y remédie en partie.
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Comment les ONG locales peuvent-elles bénéficier de vos financements ?
YP : le premier canal est l’inclusion d’ONG dans les projets eux-mêmes, ce qui a été le cas du premier projet santé, qui comportait un volet « lutte contre le VIH » dont les acteurs étaient des ONG compétentes dans ce type d’action. Le second mode est le montage de projets locaux par des ONG gabonaises dans le cadre d’un parrainage avec des ONG européennes.
Ceci permet de maximiser les impacts. Il n’y a pas en revanche de
financement direct de petits projets locaux, ce n’est pas dans les compétences de l’Agence.
Dans le secteur de l’environnement, l’AGEOS apparait comme un bel exemple de réussite de la nouvelle orientation de l’aide au développement ?
YP : C’est une belle réussite au niveau du Gabon et de la sous-région ; financé au moyen de l’accord de conversion de dette (ACD) entre le Gabon et la France, d’un montant de 32,8 milliards de FCFA, qui permet de financer les projets en faveur de la gestion durable des forêts, le projet de Surveillance de l’Environnement Assistée par Satellite (SEAS) conçu
et mis en oeuvre par l’AGEOS est un projet novateur sur le plan opérationnel, organisationnel et commercial. C’est la première fois qu’il
y a une telle structure moderne et technique au niveau de l’Afrique
Centrale. L’AFD continue à soutenir ce projet notamment par le financement de la conception de son plan d’Affaires. D’autres projets
novateurs dans le domaine forestier sont le développement de l’écotourisme dans l’Arc d’Emeraude autour de Libreville, l’appui
à la modernisation de la filière forêt-bois, la mise en place d’une fonction performante de contrôle de l’aménagement forestier.
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Dans le secteur agricole, l’IGAD a été beaucoup soutenu par l’AFD. Où en est-on avec ce projet ?
YP: Le projet PRODIAG est en voie d’achèvement et est salué comme une belle réussite, à la fois sur le plan de l’installation de producteurs, de leur formation, d’accroissement des terroirs cultivés et des volumes de productions, et de desserte des marchés urbains.
Comment appréciez-vous votre action d’une manière globale au Gabon en termes de transport, de développement urbain, de secteurs sociaux et de gestion durable des forêts ?
YP : Le développement des politiques publiques se met en place avec les ministères et les projets développés conjointement, pour répondre aux objectifs des autorités gabonaises. En ce qui concerne l’assainissement pluvial, les différents projets sur Port-Gentil et surtout Libreville, ont été l’occasion de financer les études d’un schéma directeur d’assainissement de Libreville pour les 30 ou 40 années à venir. Tous les acteurs qui interviennent sur l’assainissement des eaux usées et pluviales de Libreville s’appuient sur ses études que nous avons financées. Il en va de même dans le secteur de la santé, avec le Programme National de Développement Sanitaire. Actuellement, l’Agence Française de Développement, avec un total d’engagements de 498 milliards de FCFA, se positionne comme
l’un des principaux partenaires au développement de la République
Gabonaise.
Est-ce que selon vous l’aide publique a encore un bel avenir ?
YP : C’est une question que l’on peut se poser quand on voit que l’aide publique fait l’objet de nombreux débats. L’approche anglo-saxonne est basée sur un modèle d’économie libérale, qui valorise des exemples comme Singapour ou l’ile Maurice. Une autre école estime que le succès de l’aide publique au développement dépend surtout des capacités d’absorption des pays récipiendaires.
Au niveau de l’AFD, nous pensons que l’aide publique au développement
a encore un avenir car c’est l’un des seuls vecteurs qui permet de drainer d’importants moyens financiers sur des projets qui ne seraient pas financés spontanément par le secteur privé, notamment ceux dont la rentabilité est différée. Elle soutient le secteur public par le développement de son expertise nationale, de ses compétences locales, et le renforcement de ses
capacités, dans une perspective de long terme.
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