Marc Ona Essangui, vice-président au Sénat de la Transition, a dernièrement jeté un pavé dans la mare, en attirant l’attention sur le risque d’hyper-présidentialisation, qui pourrait survenir de l’application des recommandations du dialogue national inclusif du mois d’avril 2024, si jamais la fonction de Premier-ministre était supprimée. Diplomate, il a conseillé que des contre-pouvoirs soient mis en place, afin d’atténuer la superpuissance du président de la République qui en découlerait

Sans mésestimer la compétence des participants au dialogue national, il y a tout de même lieu de constater que nombreux ont eu un oubli facile. De plus, la connaissance du droit constitutionnel semble avoir fait défaut à plusieurs.

L’oubli concerne le danger que la création des agences avait fait courir à l’Etat gabonais, après la prise du pouvoir, en 2009, par Ali Bongo Ondimba. Une vingtaine d’agences dans divers domaines, pour rattacher les différents secteurs de l’Etat au président de la République. Les départements ministériels avaient ainsi été vidés de leurs compétences et de leur substance. Les responsables de ces agences (ANGT, ANUTTC, ANPI, ARCEP, etc.) étaient devenus de super-ministres n’ayant de comptes à rendre à personne.

L’ANGT, Agence nationale des Grands-Travaux, devenu ANGTI, après avoir avalé le Fonds routier, a englouti l’essentiel des budgets d’investissement de l’Etat, en matière d’infrastructures, ces fonds ayant, pour une bonne partie, pris des destinations inconnues. L’ANGTI a été enterrée, au final, sans explications et sans personne pour en rendre compte.

L’ARCEP, Agence de Régulation des Communications Electroniques, fut, de son côté, le ministère bis de l’Economie numérique, ayant trouvé trop étroit le couloir de la régulation et ayant arraché les prérogatives relevant de la réglementation du secteur et même de la mise en œuvre des projets. Le président de l’autorité de régulation, intouchable, défaisait ainsi les ministres qui osaient s’attaquer à ce dossier, bénéficiant lui-même d’un gros parapluie. Le ministère de l’Economie numérique, pourtant d’énorme potentiel, est ainsi demeuré clochard et famélique, les responsables, logeant dans des espaces d’un autre âge et manquant du moindre moyen pour se mouvoir.

Comme les agences d’hier ?

A un moment donné, nombreux de ces agences ont été fermées, parce que faisant de l’ombre à l’administration. Aujourd’hui, on pense devoir rattacher les ministères au président de la République, qui serait en même temps le Chef du gouvernement ? On retourne à l’époque de Léon Mba et aux débuts d’Omar Bongo.

Si la nouvelle constitution opérait ce choix (c’est pour cela qu’on veut en débattre avant le référendum), ce serait exposer le président de la République, ainsi que nous allons le démontrer. Le populisme ambiant veut qu’on rattache tous les succès de l’action gouvernementale au président de la République, Chef de l’Etat. C’est ce qu’il y a de plus normal, puisque c’est sa politique qui est appliquée.

Mais cela ne revient à pas à faire penser que le président doit être mêlé à tout. En dénonçant la tendance au « kounabélisme » de plusieurs, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) a invité, il y a quelque temps, les uns et les autres à la pondération, estimant contre-productifs de telles entreprises. Mais c’était sans compter avec la volonté et la détermination de tous les flatteurs à se faire une place au soleil, qui nous ont servi, durant cette période estivale, tournois et activités culturelles, « sous le haut-patronage de Son Excellence… ». Au dialogue national, ils ont utilisé l’excuse des postes superflus, pour proposer la suppression de celui de Premier-ministre, estimé faire partie de ces institutions qui coûteraient inutilement de l’argent à l’Etat.

Posons-nous la bonne question : d’où vient le poste de Premier-ministre, Chef du gouvernement dans le système francophone ? La réponse en est que cette fonction découle de la Constitution de la Ve République française de 1958.

Dans la loi fondamentale gabonaise de 1991, il est retenu que le président de la République détermine, en concertation avec le Gouvernement, la politique de la nation. Il est le détenteur suprême du pouvoir exécutif, qu’il partage avec le Premier Ministre.

Responsabilité

En somme, le président oriente la politique de la nation. Le Gouvernement, lui, conduit la politique de la nation, sous l’autorité du président de la République. Le Gouvernement dispose, à cet effet, de l’administration  et des forces de défenses et de sécurité. Le Premier ministre et son gouvernement sont responsables devant le président de la République et devant le Parlement.

Cette notion de responsabilité du gouvernement, si elle était rattachée au président de la République, rendrait ce dernier juge et partie de l’action gouvernementale, l’obligeant à se soumettre aux questions des députés, sénateurs et autres instances de contrôle.

Dans un régime présidentiel normal, le président de la République inspire la politique du Gouvernement. Il a l’autorité de la censurer et de la contrôler, en utilisant les différents rouages à sa disposition (audits, cour des comptes, contrôle parlementaire, etc.)

Le président de la République est, en effet, juge des performances et des carences de son Gouvernement. C’est pour cela qu’il peut le remanier et démettre le Premier ministre de ses fonctions, de sa propre autorité.

Il est retenu, dans l’étude des institutions découlant de la Ve République françaises, desquelles sont calquées les institutions des pays francophones, que le Premier-Ministre est « le fusible » du président de la République. Lorsque la politique du Chef de l’Etat est remise en cause, l’Assemblée nationale peut initier un vote de confiance ou de défiance relatif à l’action gouvernementale. Au cas où les députés parviennent à censurer le gouvernement (motion de censure), le Premier ministre est obligé de démissionner avec toute son équipe. Le président de la République, qui porte, lui, un mandat électif, nomme alors un nouveau gouvernement.

Dans le cas où il n’y aurait pas de Premier ministre, on se retrouverait dans une situation de branchement direct, comme constaté en matière d’électricité. C’est là le danger de « l’hyper-présidentialité », ou de l’hyper-présidentialisme. Les contrecoups de la société seraient des hausses et des baisses de tension, mettant à mal le système tout entier, le président est, de ce fait, exposé aux décharges électriques de la société, faute de régulateur de tension.

Or, tout système de transport de flux a besoin d’un régulateur. C’est le rôle du Premier ministre, Chef du gouvernement. Les partisans de l’hyper-présidentialisme agissent à l’identique de ceux qui avaient fait croire au président déchu Ali Bongo, que les Premiers ministres Paul Biyoghe Mba et Raymond Ndong Sima lui faisaient, ou allaient lui faire de l’ombre, empêchant l’action du président d’être vue. Or, il est clair qu’un Premier ministre, dans le système présidentiel, applique la politique du chef de l’Etat et pas la sienne propre. Il n’y a pas deux capitaines dans le bateau.

La réforme de l’Etat (Budgétisation par Objectifs de Programmes, BOP), instituée en 2015 présente ainsi quatre niveaux de politiques publiques. Il y a, au départ, le projet de société, sur la base duquel le président de la République a été élu. De ce projet, découle la feuille de route du gouvernement, éclatée en missions ministériels, en programmes de politiques publiques et en actions.

Une mission ministérielle a pour objectif d’assurer la mise en œuvre de la politique du Gouvernement dans un ou plusieurs domaines spécifiques. Par exemple : la Mission Santé ou Education. Le Chef d’une mission est le Ministre chargé de ce secteur. Une mission comporte plusieurs programmes.

Composé d’un ensemble d’actions, un programme est chargé de la mise en œuvre d’une politique publique. L’Etat affecte des ressources à cette politique, ressources que le programme alloue aux services d’appui, aux services centraux et territoriaux d’un département ministériel, en matière de fonctionnement et d’investissement, ainsi qu’aux établissements sous tutelle, qui fonctionnent de façon autonome et sont liées au programme par un contrat annuel de performance (CAP), périodiquement évalué. Le Responsable de programme (RPROG) est un Directeur général du secteur concerné.

Une action est une unité de crédits consacrée à l’exécution d’une politique publique dans un domaine spécifique. Exemple : Action gestion du médicament ; autre action : normalisation du secteur santé. L’administration de l’Etat conçoit et met en œuvre l’action de l’Etat. Les établissements publics (entreprises de l’Etat) et les entreprises privées, dans le cadre de la passation des marchés publics, exécutent les activités et les projets de l’Etat. Les ordonnateurs de crédits n’étant que des juges d’opportunités.

Les chefs de missions et les responsables de programmes rendent compte des crédits qui leurs sont alloués annuellement et des objectifs qu’ils se seront fixés, quoique l’exécution des crédits de l’Etat soit du ressort des comptables publics, que sont des agents comptables assermentés. D’où la rédaction des Rapports Annuels de Performance (RAP), accostés au Projets Annuels de Performances (PAP), conçus pour chaque exercice budgétaire.

Tout ce qui  précède découle des dispositifs internationaux, auxquels le Gabon a librement souscrit et qui sont appliqués selon les directives de la CEMAC en matière de budgétisation par Objectifs de programmes.

Au  contraire de ce que pense Marc Ona, l’hyper-présidentialisation consisterait à rendre, soit hyper-contraignant, l’autorité du président de la République sur les différents pans de l’administration, soit à rendre inopérants les différents systèmes de contrôle (contre-pouvoirs) de l’action publique. Ce que le président Ali Bongo avait failli réussir, ayant proposé, en 2017, la suppression de la BOP, dont il ne maîtrisait, visiblement, pas grand-chose, poussé en cela par des membres du gouvernement qui voulaient gérer directement les fonds de l’Etat, comme avant, du temps de la gestion des affaires publiques en mode moyens.

Interventionnisme

On le voit bien, l’immixtion ou l’interventionnisme de la présidence de la République dans l’administration, au cours des deux derniers septennats, a souvent entraîné des grincements de dents. C’est ce qui ressort de l’évocation du concept de la Young-Team, qui voulait, sinon, tenait à tout régenter, rendant sans consistance les rouages régaliens de l’administration. Affirmer un tel système régent dans les textes, reviendrait, sans plus, à instituer un système policier, qui découlera naturellement de la nécessité de protéger, partout, le nom et l’image du président de la République.

Au nom même de cette notoriété, le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) qui, de droit, critique l’action du gouvernement, deviendrait muet face à un hyperprésident, autant que les autres structures habilitées à contrôler la gestion des affaires publiques.

Les réformes découlant de la restauration des institutions, devraient, en définitive, tirer le Gabon vers le haut, pas le replonger dans les abysses de l’autocratie décriée. Le président de la République, à l’image de tout chef d’entreprise, doit œuvrer, au quotidien, à ce que sa société aille mieux et produise les résultats escomptés. Il pense l’entreprise, en recherchant constamment les moyens de son épanouissement. Si un tel manager devenait un exécutant, la tâche de conception, qui lui revient, serait abandonnée. C’est ce qui empêche les meilleures structures de décoller et d’innover, le patron faisant des moyens ce qu’il veut, comme pour une épicerie de quartier.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Gabon n’échappera pas à cette logique. Le président de demain sera un élu, qu’il faudra protéger et qui ne devra pas, à tout moment, essuyer des piquets de grève à son portail.

Fidel Biteghe (Journaliste écrivain)

 

 

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