Le Comité de transition pour la restauration des institutions vient de souffler sa première bougie à la tête du pays. Occasion pour le Neurologue, Dr Okome Mezui, de tirer la sonnette d’alarme sur les défaillances persistantes du système sanitaire Gabonais sous l’ère de la transition à la faveur d’un libre-propos publié ces dernières heures à Libreville. Un système sanitaire qui peine encore à s’arrimer à l’essor vers la félicité tant clamé par le sommet de l’Etat en vue d’une gratuité des soins pour tous.
Libre-propos.
On choisit parfois le silence, pas parce qu’on n’a rien à dire ou bien parce que tout est parfait. On peut choisir d’être observateur. Mais, malgré tout, j’ai mal à mon système de santé, à l’heure de l’essor du Gabon vers la félicité.
Le premier anniversaire de la libération a été dernièrement célébré en grande pompe. J’ai applaudi. En tout cas, Libreville, pour ne pas dire le pays tout entier, était en effervescence : on pouvait avoir les femmes vêtues de leurs beaux pagnes et tee-shirts à l’effigie du libérateur. Les hommes habillés et leurs épouses ont été honorés. Certains citoyens ont été décorés à titre de reconnaissance dans leur domaine d’activité.
Certains membres du gouvernement et des proches du système actuel, autrement dit, les mêmes personnes, toujours les mêmes, ont encore ajouté une médaille à leur collection. En seulement une année, ils se sont vu attribuer au moins 4 médailles. Je ne mets pas en doute leur mérite, mais c’est quand même un exploit… Mon grand frère M.E.M avait déjà fait remarquer dans une de ses publications que ce sont toujours les mêmes qui sont décorés.
Apparemment le bilan a été fait et il s’avère positif dans l’ensemble. Un record de réalisations en une année. Par contre, la question de la restauration des institutions reste encore un slogan dans nos oreilles.
Le grand dialogue a été fait depuis des mois, les conclusions dudit dialogue restent en attente pour le grand public. M ais déjà, de nombreux leaders politiques et sociaux sensibilisent les populations à voter OUI au référendum… Ouiii, ils ont de la suite dans les idées, chacun veut remporter le plus grand score dans sa circonscription, pour faire les beaux yeux à l’officier en chef du CTRI.
Pour ma part, Dieu seul sait combien de fois, comme de nombreux citoyens, je voulais faire partie de la fête, mais hélas, il a fallu que ce soit moi qui couvre la garde dans mon service. Les épreuves que j’ai passées durant cette garde m’ont amenée à me poser un certain nombre de questions, au moment où ils fêtaient le 1er anniversaire de la libération.
Ils ont annoncé la construction de plusieurs hôpitaux publics et militaires sur toute l’étendue du territoire. C’est louable. Cependant un an après, quelles sont les avancées dans le domaine médical ?
Les grandes structures hospitalières publiques ne disposent que d’une seule ambulance, de plus, sans dispositif d’oxygène, sinon de deux, pour celles qui ont de la chance.
Nous prescrivons encore les gants d’examens aux malades, le paracétamol, les compresses, la bétadine, l’alcool, les fils de sutures, etc. Les malades doivent se rendre dans les structures privées pour réaliser leur scanner ou l’IRM et, parfois, pour réaliser certains examens de sang de base. Nous n’avons pas de quoi calmer une convulsion. Si un enfant ou un adulte arrive en convulsant, on prescrit une ordonnance aux parents et on attend qu’ils ramènent le médicament…
Les coupures d’électricité dans certains hôpitaux sont toujours d’actualité, car la puissance des groupes électrogènes de relais serait très faible par rapport aux besoins des services. Donc quand dame SEEG fait ses caprices, nous sommes obligés de reporter certaines interventions chirurgicales ou de transférer les patients dans d’autres structures qui, elles aussi, rencontrent les mêmes difficultés que nous.
De passage dans le plus grand service des urgences du Gabon, il y a quelques semaines, j’ai été outrée de savoir qu’il manquait de toilettes pour les malades. On suggère à chaque patient hospitalisé d’acheter un pot, dans lequel il ferait ses besoins. Dans l’urgence, les hommes utilisent les bouteilles d’eau minérale vides pour uriner. Il y a autant de besoins à énumérer, à l’heure de l’essor vers la félicité. Imaginez les conditions de travail du personnel de ce service… »l’odeur nauséabonde fait partie de leur quotidien » on va vous dire c’est le sacerdoce. Courage ! Jusqu’à ce jour, il manque des kits d’urgence pour des patients qui arrivent avec un pronostic vital menacé.
J’ai été personnellement confrontée à une telle situation, pendant que d’autres étaient à la fête pour la libération. Une malade qui nécessitait d’être opérée en urgence dans les heures qui suivaient, Car le pronostic vital était engagé, nous a trouvé sans possibilité de lui offrir un kit d’urgence. La famille n’avait pas de quoi acheter le matériel nécessaire dans l’immédiat. J’ai vu le désespoir, l’impuissance, les lamentations sur les visages des parents. Voir ta mère entre la vie et la mort, les ordonnances dans les mains et ne pas avoir de quoi payer ces ordonnances. C’est comme un suicide pour soi-même. N’eut été l’intervention d’un autre malade, cette vie aurait été perdue.
A la fin de la journée, en rentrant chez moi, il faisait beau, les rues étaient un peu désertes. Je décide de faire une petite marche de 10 à 15 min, avant de prendre mon taxi. Je tombe sur un parking d’une administration publique et j’aperçois près d’une soixantaine de véhicules 4×4 et double cabines flambants neufs, immatriculées plaques bleues. Certainement en attente d’être distribués aux personnels de ladite administration…
Je croise mon collègue chirurgien non loin de là, il me dit en souriant » ma chère tu vois, pendant que tu cours toute la journée dans le bloc opératoire et les services d’hospitalisation, pour sauver une vie sans le minimum de matériel, des voitures sont distribuées comme des bouts de pain à d’autres « .
J’avoue que j’ai été choquée sur le coup. De ce que je sais, seul le DG du CHU dispose d’une voiture de service. Que tu sois professeur agrégé, titulaire, chef de service, directeur des affaires médicales ou chef de département… à ma connaissance, aucun n’a une voiture de service. Quelles sont finalement les urgences dans ce pays ?
Est-ce qu’on peut rendre public le coût annuel des évacuations sanitaires à l’étranger, pour des pathologies qui peuvent être prises en charge sur place par le personnel local compétent ? Mais pour défaut de matériel, les malades sont évacués à l’étranger (nous avons une belle formulation que nous utilisons tous) » pour défaut de plateau technique, nous vous adressons ce patient ». Jusqu’à quand ?
Pourtant le coût d’une seule évacuation sanitaire par la CNAMGS peut permettre de prendre en charge localement plusieurs patients. Encore une fois quelles sont les urgences de ce pays ?
J’ai regardé le défilé militaire à la télé et j’ai été « agréablement » surprise de la puissante logistique dont dispose notre armée. Waouh, nous avons tout ça au Gabon ? Je pense que notre armée est la mieux équipée en Afrique noire pour une population de moins de 3 millions. Je suis sûre que si nous rentrons en guerre avec un pays voisin, en moins de 24h, l’ennemi sera à terre. Le président de la transition en 1 an d’exercice a offert à notre chère armée 379 nouveaux engins: 61 moto-quad jet ski, 233 véhicules légers, 62 engins blindés, 104 camions de transport, 14 bus de transport, 25 bus pour l’hôpital militaire de campagne, 21 ambulances, 11 engins TP, 2 tracteurs agricoles, 5 vedettes zodiac, 20 armements mitrailleuses, 10 groupes tracteurs, 23 mortiers, des aéronefs etc… je ne parle pas des cités qui sont en construction et des logements déjà distribués à nos combattants.
Tous les camps de police ont fait une cure de jouvence. C’était vraiment nécessaire. Car on reconnaît l’état d’insalubrité dans lequel vivaient certains.
Je me suis posée quand même une question : après le défilé, sachant que le Gabon n’a jamais été en guerre, qu’est-ce qu’ils font avec cet important équipement, à part l’entretenir ? Bien sûr, la dissuasion fait partie de l’art de la guerre.
Tout de même, avant de nous sauver d’une guerre lointaine éventuelle, nous avons besoin de manger sainement, de nous loger décemment et de nous SOIGNER, car la maladie ne prend pas de rendez-vous. Elle arrive souvent au moment où l’on est fauché et la vie peut s’arrêter pour défaut de soins.
Au regard de ce petit constat, je pense que les autorités ne sont pas toujours informées des réalités. Certains responsables ont le plaisir de montrer que tout se passe bien dans leurs services, cachant ainsi la réalité. Parfois, c’est quant l’irréparable survient que les plus hautes autorités sont amenées à devoir prendre des mesures d’urgence.
Nous ne voulons plus de ce Gabon où, lorsque le président ou une autre autorité doit effectuer une visite, c’est à ce moment qu’on embellit les murs. Tout est beau, propre, chaque chose à sa place. Les agents travaillent nuit et jour à astiquer les lieux. Alors que dans le quotidien c’est autre chose.
Le président devrait imposer à tous les membres du gouvernement et tous ceux qui occupent des postes de responsabilité dans ce pays de se faire soigner que dans les hôpitaux publics. En vue d’une gratuité des soins pour tous
Dr OKOME MEZUI, Neurologue