Les dernières catastrophes naturelles apportent de l’eau au moulin de nombreux experts en cindynique, soulignant l’importance d’une stratégie nationale de réduction des risques.
A l’évidence, le Programme prioritaire d’assainissement de Libreville n’a pas eu les effets escomptés. (en photo la facétie d’un Gabonais quant au phénomène)
On s’en doutait, mais on n’en mesurait ni l’ampleur ni la portée : en termes d’infrastructures d’assainissement, notre pays accuse un déficit. Quand elles existent, elles ne sont pas entretenues et peuvent même servir de décharges publiques. Tout au long de la semaine écoulée, les populations ont ressenti le contrecoup de cette situation. Entre pluies diluviennes, inondations, éboulements, glissements de terrain, ensevelissement d’une famille, elles ont été confrontées aux catastrophes naturelles. A Libreville, Akanda ou Owendo, les mêmes causes ont produit les mêmes effets : par l’addition d’une urbanisation anarchique, d’un envasement de certains cours d’eau, d’une absence de programmes de curage des canaux et caniveaux, elles ont vu l’eau entrer dans leurs maisons, emporter leurs biens, submerger les voies publiques. Partout c’était la désolation. Comme les habitants de Mimongo, il y a quelques semaines, les Librevillois et leurs voisins immédiats n’ont rien pu faire, se contentant de filmer pour mieux prendre l’opinion nationale à témoin.
Plus de méthode
A l’évidence, le Programme prioritaire d’assainissement de Libreville n’a pas eu les effets escomptés. Ni les conditions d’hygiène ni la situation sanitaire des populations n’ont connu d’amélioration. Dans les quartiers concernés, le désenclavement est demeuré une chimère. Pourtant, au moment de la livraison des ouvrages, le gouvernement et l’Agence française de développement (AFD) s’étaient montrés satisfaits, indiquant même être passés « d’un projet de drainage pur et sans voirie, à un projet mixte (alliant) drainage et voirie de désenclavement. » Même s’ils avaient déploré l’absence « de réseaux secondaires et tertiaires« , ils avaient vanté la « réussite du projet« , justifiant l’intervention de nouveaux partenaires techniques ou financiers. Pour les pouvoirs publics comme pour ces bailleurs de fonds, les catastrophes enregistrées dernièrement résonnent comme un cinglant démenti : elles leur rappellent l’absolue nécessité de ne pas cautionner le saupoudrage, de mieux articuler les projets et de songer au service après-vente.
Ne leur en déplaise, ces catastrophes en série apportent de l’eau au moulin de nombreux experts en cindynique, soulignant l’importance d’une stratégie nationale de réduction des risques de catastrophe. Conformément au Cadre d’action de Sendai, il aurait fallu favoriser la collecte, le traitement et la gestion des données, investir dans la recherche scientifique, développer un cadre juridique, réglementaire et institutionnel adapté puis, relocaliser certaines installations et infrastructures… Avant de se lancer dans la construction d’ouvrages, il aurait été utile de consulter et sensibiliser les populations. Il aurait été nécessaire de les mettre devant leurs responsabilités en leur indiquant les gestes à accomplir et les conséquences éventuelles en cas de manquement. Pour avoir agi d’autorité, sans concertation ni plan d’ensemble, le gouvernement a créé les conditions d’un mauvais usage des bassins versants. Sans encourager les mauvaises pratiques de certaines populations, on doit l’inviter à faire montre de plus de méthode.
Urgence
Au regard de la pluviométrie, les populations semblent gagnées par la peur. Redoutant de nouvelles catastrophes naturelles, elles craignent de vivre de nouveaux drames avec, à la clé, des dégâts matériels et pertes en vies humaines. Le gouvernement aura beau marquer sa solidarité, annoncer des soutiens à certaines familles. Cela ne constituera jamais une stratégie durable. Encore moins une réponse de fond. A Libreville, Owendo, Akanda, comme dans l’ensemble du pays, il faut repenser la gestion du risque. Faut-il évacuer certaines zones ? En tout cas, il faut tenir compte de l’existence des mangroves. Au lieu de chercher à les assécher, il faut les préserver et s’en éloigner pour se prémunir des conséquences des crues. Si une stratégie de réduction des risques doit être conçue, il en va de même pour le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (Sdau), censé fixer les « orientations fondamentales de l’aménagement (…) au niveau d’une commune ou d’un ensemble de communes. »
Pour prévenir de nouvelles catastrophes naturelles, il y a urgence à recourir à la prévision, à la planification et à leurs outils. Sans oublier de parer au plus pressé, l’heure est venu de privilégier la réflexion stratégique. Sur le fondement de données et informations scientifiquement vérifiées, il faut songer à la répartition spatiale des hommes et des activités, protéger les zones humides, forêts et sites naturelles, se préparer aux catastrophes tout en prévoyant des mesures d’atténuation. De même, il faut donner du contenu à la protection civile. Prompt à se présenter comme le champion de la lutte contre les changements climatiques et ses conséquences, le gouvernement y joue sa crédibilité. Sauf si son discours environnementaliste relève de la simple rhétorique voire d’une quête de reconnaissance internationale, il a intérêt à montrer plus de cohérence et de sens de l’anticipation.